Descente vers le côté obscur.

Nokt entra dans la taverne, le visage caché sous une capuche. Il s'avança vers le bar et s'y assit. Pendant quelques minutes, il observa autour de lui.

"Voilà donc, se dit-il, le lieu de rencontre de tous les Siths de la Galaxie..."

Sa rencontre avec le comte Clectus sur secteur l'avait décidé à franchir le pas de cette porte. Ce n'était pas le premier Sith qu'il avait rencontré au cours de sa longue présence dans la Galaxie. Tout du moins était-ce le premier depuis qu'il avait pris sa retraite. "Vétéran", un mot flatteur et terrible à la fois. L'impression de ne plus avoir de but, et pourtant la conscience de l'existence de grandes injustices dans ce bas-monde. Là, de grands conglomérats contrôlent les destinées des gens simplement pour servir leurs petits intérêts, et non pas pour le Plus Grand Bien, comme le devraient des gens responsables.

Révolté, en colère contre cet état de fait, l'Umbrien - originaire d'Umbria - créa une coterie sans réelle orientation, sinon d'être l'instrument de la chute de tous les indignes, par tous les moyens, force brute ou ruse. Peu lui importait la morale, marcher "dans les clous" ne l'avait jamais satisfait, mais il n'avait jamais eu d'autre alternative en vue. Que risquait-il à venir ici ? Il avait déjà perdu tout espoir en la nature humaine, de toute façon. Même la Fondation, en dépit de son dirigisme, lui semblait trop molle, trop clémente...

"Les humains ont besoin d'être dirigés vers leur intérêt supérieur, sinon ils s'égarent. Peu importe les moyens."

Il dit ceci assez fort pour être entendu par tous. Il attendit alors de voir les réactions, patientant également pour voir s'il ne rencontrerait pas ici le comte Clectus.

Un des rideaux qui couvrait les parois de cette sombre Cantina s'écarta lentement : un grand homme, d'âge un peu avancé, à l'air noble et à l'attitude hautaine, se tenait à l'entrée d'une des salles annexes, dont on n'aurait pas soupçonné l'existence l'instant précédent.

- Ah, l'Umbrien nous a rejoint ! Approchez, Lucian Nokt, approchez. Je ne passe que très rarement dans ce lieu : les habitués ne correspondent pas exactement à mes critères de fréquentation... Mais ici nous serons un peu à l'écart et nous pourrons déguster tranquillement un rafraichissement de circonstance. Que prendrez-vous ? Jus d'Ewok sanglant, Vodka Mort Subite, Bourbon Four Graves, Champagne cuvée spéciale Étoile Noire... ? Je vous épargne les boissons plus vulgaires que l'on sert au bar et qui ne conviendraient sûrement pas à un hôte de marque tel que vous.

Une jeune fille accorte, dédiée au service pour les rares hôtes de cette salle annexe, qui faisait l'effet d'un club assez fermé et sélectif, s'approcha et attendit les commandes. Après avoir proposé à son invité de s'installer confortablement dans un fauteuil en cuir véritable de Naboo, le Comte lui présenta un coffret en bois.

- Tenez, si vous appréciez ces bons vieux cigares des temps anciens, ceux-ci me sont livrés directement de la planète Havana4, où l'un de mes Fidel les fait rouler à la main par des esclaves. Vous m'en direz des nouvelles... Nous allons attendre nos plus hauts dignitaires, il ne tarderont pas à se manifester, et à vous questionner. Nous avons des réponses pour les gens en colère, celle-ci est un moteur puissant et l'Imperium sait s'en servir...

Jouer avec la patience des adversaires est un de mes jeux favoris !

C'est étrange de voir que le Sith n'est pas l'initiateur de la violence et que les prétendus diplomates reviennent très facilement vers la menace, puis les croiseurs et les renforts lorsqu'ils croient détenir la supériorité.

Observons, car tant que les autres acteurs de la Fondation, de la Guilde et de l'Empire sont là, les activités seront naturellement restreintes. Mais il s'agit en fait de mettre en place les forces qui vont se déchaîner en deuxième semaine.

Un hologramme bleuté s'allume dans un coin de la salle, non loin des deux individus en train de discuter. Une sorte d'écran se dessine devant le rideau qui donne accès à la salle commune, mais également dans la direction où s'est éloignée la serveuse. Quand cet cran est devenu complétement opaque au bout de quelques secondes, l'hologramme prend la parole.

Votre situation actuelle mérite probablement d'être protégée des oreilles indiscrètes. Je n'aime pas la faune interlope qui traîne dans cette Cantina.

Un temps de silence

Je repasserai plus tard scruter plus profondément les motivations de ce visiteur.

Un petit grésillement et l'hologramme s'éteint. Les parois opaques toujours présentes indiquent que la sécurisation des échanges est toujours en cours.

Nokt vit apparaître l'image du Seigneur Noir des Siths et attendit qu'il sécurisât la salle pour reprendre la conversation avec le comte.

Vous avez raison, seigneur, on ne sait jamais qui écoute. Les murs ont des oreilles, mais nous ne disions pas grand chose de confidentiel. Juste des évidences. Ces "défenseurs", comme ils s'appellent, derrière les paroles pleines de bons sentiments et d'humanisme sont souvent les premiers à dégainer leurs armes.

C'est pour ça qu'ils sont indignes du pouvoir qu'ils revendiquent, parce qu'ils rejettent leur peur dans la catégorie des "émotions à bannir". La peur provoque la colère, laquelle est un moteur d'expansion.

Mais ils ne comprennent pas que c'est ce sentiment de peur d'être détruits, de se faire dépasser par les autres qui a été le moteur de l'expansion de leurs confréries. Arrivés à l'apogée de leur évolution, ils sont pétrifiés, ils ont peur d'avoir peur, de se montrer cruels... Ils ont peur de ce qu'ils sont.

Ils stagnent et bloquent l'évolution de la Galaxie, imposant leur morale délétère pour préserver leur propre domination corrompue.

Nokt, après s'être légèrement emporté, revient dans ses gonds.

Ça peut paraître idéaliste, je sais. Mais, dans la carrière qui m'a conduit jusqu'au statut de vétéran, j'ai constaté que les "confréries positives" sclérosent le système, le rendent injuste en imposant leur contrôle sur la Fondation, et même sur la Seconde Fondation, dont les pouvoirs sont bridés.

Pourquoi brider les pouvoirs dont on dispose ? Je parle en général. Pourquoi ne pas utiliser les capacités existantes à bon escient, quitte à fermer les yeux sur les moyens ? "Fermer les yeux" ? Formule rhétorique, évidemment. Il n'y a pas de honte à avoir, selon moi.

L'ordre galactique est soumis aux velléités aléatoires des grandes confréries, qui ne sont qu'une bande de lâches qui ne s'assument pas et qui n’œuvrent que dans leur petit intérêt. Ils arrivent sur des secteurs et provoquent des guerres au dépend de la paix et de l'ordre. Pourquoi ? Pour étendre leur confrérie ? Pourquoi ? Quel est leur but ?

Je veux briser ce cercle vicieux ! Chaque fois que j'ai croisé un sith sur mon chemin, la Pax Sith a permis à l'ordre d'être respecté. Voilà un autre constat. Ne pas hésiter à faire usage de la force et de la ruse, quelles qu'elles soient, pour assurer l'Ordre (et naturellement en tirer un profit à la hauteur du service rendu à la communauté), voilà qui me semble plus juste.

Mais plus simplement, ma motivation principale pour être venue ici vous trouver se résume à cela : Je hais ce monde et son ordre tel qu'ils sont. La face "positive", lumineuse, ne me séduit guère plus. Clerc obscur tel que je le suis reconnu parmi les vétérans pour mes actions "à la limite de ce qui était permis" lorsque j'étais à la Table (on m'a catégorisé ainsi alors que, moi, je m'en suis défendu, justifié... on ne m'a pas écouté ! Quelle terrible injustice ! On n'a pas daigné me porter crédit car un ambassadeur avait été lésé !), j'ai décidé de me laisser aller à cette image que la "société" m'a donné. Finalement, je m'y trouve assez bien. J'ai lancé ma confrérie dans le but d'être plus libre, d'agir de manière plus décomplexée. Mais je ne suis pas stupide. Je sais que seul, rien ne peut se faire dans ce monde. On a vite fait de disparaître sans avoir pu exprimer sa voix, sa colère... Je sais qu'il faut que je maîtrise d'abord le côté obscur en moi pour pouvoir survivre.

Alors, me voilà...

L'androïde qui venait d'être dérangé par un invité, à la parole sifflante et à l'air pédant, ne manqua toutefois pas une miette de ce que venait de déclarer Lucian Nokt.
Décidément, cet hôte lui plaisait de plus en plus. Sa pensée et sa parole correspondaient au mode de fonctionnement des SITHs, selon lui.
Toutefois, il le trouvait encore un peu tendre dans ses propos... la retenue était encore de mise.

"Mais le temps fera son effet", se dit-il plus pour lui-même.

L'hologramme bleuté venait de se rallumer. Peut-être était-il resté en veille à écouter les échanges ?

- Un tenant de l'ordre, donc, qui apprécie la Pax Sith et souhaite l'étendre dans cette galaxie par trop chaotique...
Intéressant... Comte Clectus, il vous faudra guider votre recrue et veiller à ce qu'elle saisisse bien tout le sens de son engagement chez les Siths.
Réciter chaque soir dix fois le "code Sith", cinq fois le "je vous salue, Impératrice" et deux fois "Seigneur Noir, qui êtes à l'Etoile Noire" pourrait déjà être un bon début.

- Lucian Nokt, clerc obscur, vous allez suivre les voies de l'initiation Sith : nous suivrons chacun de vos pas dans cette nouvelle vie, ne nous décevez pas !

Merci de m'autoriser à arpenter ainsi le chemin obscur sous la conduite avisée du comte, seigneur. Je ferai attention à ne pas vous décevoir. Je suivrai d'ailleurs vos prescriptions en ce qui concerne les doctrines siths. J'en ai déjà pris connaissance, et je peux dire que je n'aurai aucun mal à psalmodier ce genre de maximes.

Nokt se leva et s'adressa au comte.

Monsieur le comte, je retourne sur mon vaisseau amiral pour préparer mon départ du secteur. Notre plan continue, ne vous en faites pas, j'en ai bien compris le sens, et je l'applique en ce moment même. D'ailleurs, j'ai l'impression que la Fondatrice prête de plus en plus l'oreille à mes incitations.